A proximité immédiate de la rue İstiklal et des anciennes Ambassades qui la jouxtent (aujourd'hui Consulats), le quartier de Tomtom, sur le haut de la colline de Beyoğlu, se composait principalement de jardins et de dépendances de types administratif et éducatif. Le démantèlement des ces institutions au cours du 20ème siècle se solde par des occupations plus ou moins respectueuses de ces bâtiments.

Ici, le temps, les changements d'usages et de besoins ont mené au morcellement de cet ensemble du milieu du 19ème siècle. Initialement, deux corps de bâtiments ont été construits pour servir d'école. L'ensemble est encore reconnaissable à la forme et à l'alignement des embrasures en façades, ainsi que par la présence, aujourd'hui à peine visible d'un socle en pierre commun. Deux bâtiments, quatre entrées et quatre grandes cages d'escalier. De part et d'autre de ces escaliers, des pièces de 20m² formaient les classes. Des commodités se trouvaient en sous-toiture et au rez-de-chaussée inférieur.

Globalement en très mauvais état, un départ d'incendie, toiture effondrée et infiltrations d'eau importantes, des travaux lourds ont été mis en oeuvre. Les matériaux existants, murs de briques pleines et poutraison bois des planchers d'étages, ont été reconduits pour cette rénovation. L'escalier central en bois a été reconstruit pour une part à l'original et se déroule cette fois sur l'intégralité de la hauteur du bâtiment, profitant ainsi d'un apport en lumière naturelle par la toiture. L'organisation intérieure n'a pas été modifiée, seules des commodités ont été ajoutées aux étages supérieurs. L'imposante cage d'escalier et son emprise en m² par étage (33%) sont vus ici comme une qualité à maintenir. D'école (puis ateliers et dépôts divers), cette bâtisse devient logement avec jardin sur le modèle urbain des maisons en rangées uni-familiales caractéristiques des quartiers d'habitation historiques d'İstanbul.

L'inertie naturelle de cette construction, murs pleins de 65cm, est ici complétée par une isolation thermique posée côté intérieur et d'installations techniques à faible consommation énergétique (pompe à chaleur et échangeur d'air). En terme d'assainissement d'un existant et de mise à disposition d'un confort moderne, cette transformation démontre que la complémentarité d'anciennes techniques de construction et de technologies les plus novatrices fonctionne parfaitement. A l'aspect de préservation d'un patrimoine culturel bâti, rénover un bâtiment existant est aussi un acte engagé pour la préservation de l'environnement et doit s'inscrire pleinement dans la thématique actuelle de développement durable.

Construit sur une parcelle rectangulaire et assez étroite (23x8m), ce bâtiment de la fin du 19ème siècle (A.N. Perpignani et M.G. Langas) s'articule dés le premier étage en plusieurs saillies qui viennent enrichir notre perception côté rue et diminue l'impact de la construction en hauteur (lignes interrompues). A l'intérieur, ce jeu de volumétries qui semblent se déplier sans cesse ouvre le plan de manière à ce que les pièces paraissent toujours plus grandes.

A cette qualité s'ajoutent des portes-cloisons en bois qui, ouvertes ou fermées, changent complètement le caractère de l'appartement. Ainsi ce logement de 5 pièces surprend par sa capacité à générer des profondeurs et offre une grande variété d'usages malgré le peu de m² disponibles (60m²). L'absence de couloir y est évidemment pour beaucoup et permet cette relative enfilade des pièces très adaptée à un mode de vie contemporain flexible et décloisonné.

Les menuiseries intérieures, bois très noué de deuxième qualité, sont rénovées et laissées naturelles. Elles se démarquent ainsi plus nettement des murs peints. Leur rôle de décloisonnement des pièces est ainsi accentué. D'une manière générale, le bois est utilisé dans cet appartement comme unité matérielle récurrente et commune. Les menuiseries extérieures ont été renouvelées, tonalité du bois des cadres et faux-cadres similaire au plancher existant et portes. La cuisine et la salle d'eau forment un seul bloc simplement fonctionel et n'occupent que 7m² de la surface totale.

Commande à l'architecte (Guglielmo Semprini) par un médecin stanbuliote, cet immeuble d'habitations cossu et bourgeois comprend dix appartements de bonnes tailles (90 à 110m²). Ce type de réalisation est représentatif des constructions de la fin du 19ème siècle qui firent suite aux nouvelles planifications décidées après le grand incendie de la ville en 1870. Plus grands et plus hauts, murs maçonnés, planchers à poutrelles métalliques et hourdis de briques, des immeubles regroupant plusieurs habitations font alors leur apparition à İstanbul.

La façade sur rue affiche son statut avec des fenêtres en saillie et quelques reliefs sculptés. Mais l'immeuble, construit sur une crête de la colline de Tepebaşı, profite côté sud d'un dégagement complet sur la Corne d'Or. Communs aux appartements, une terrasse et un jardin surplombaient autrefois les pentes encore très végétalisées de Kasımpaşa. Initialement, les espaces jours se situaient côté rue, les chambres elles, côté jardin.

Dans ces nouveaux logements collectifs, la typologie à sofa (issue des maisons uni-familiales traditionnelles turques) sert de matrice. Tous les espaces sont accessibles depuis une seule pièce centrale qui devient multifonctionnelle et donne aux intérieurs des relations traversantes d'une grande flexibilité. La hauteur sous plafonds de 3,20 mètres contribue également à cette qualité d'espace, de volume et de lumière. Seuls changements dans ce plan qui le permettait facilement, une salle d'eau plus spacieuse, et surtout, en réponse ici à des besoins (envies) plus actuels, un séjour et salle à manger avec cuisine ouverte placés côté sud jouissant de la vue et de l'ensoleillement.

Sous les couches successives de peintures et revêtements divers, l'état original de cet appartement a révélé des murs et plafonds richement ornés de motifs géométriques (parfois figuratifs), faits selon la méthode à fresco. Les pigments naturels utilisés (oxydes métalliques ou de terres) donnent à l'intérieur de l'habitation un caractère chatoyant fait de toute une palette de couleurs élémentaires. Tout en ravivant les couleurs initiales, la rénovation a procédé de manière à conserver la patina inimitable du temps écoulé, la texture de ce qui a été et veut être encore.

Restituer les éléments originaux, les dégager de modifications parasites éventuelles, puis déterminer quel en est l'élément existant à accentuer pour en faire la "nouvelle" structure visuelle, donne à ces constructions historiques une contemporanéité qui convainc et devrait impliquer dans les centres anciens plus d'acteurs pour cette autre économie circulaire.